« Le rêve d’Eve »

Publié le par Mimi

 

 

Jeu d’écriture (numéro 57) sur Maux d’auteur (http://mda.xooit.com/index.php)

 

Vacances de rêve...rêves de vacances"
Préparatifs, souvenirs, déconvenues de vacances passées ou à venir.
4 mots à disposer dans le texte pour s'amuser : SICILE, PYJAMA, GALETTE, TRAGEDIE.

 

 

 

« Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? ». Banale, la question formulée machinalement devant la machine à café par la nouvelle stagiaire avait jeté un froid. À l’évidence la jeunette ignorait tout de la vie d’Eve. Cette dernière éluda l’interrogation par quelques mots marmonnés à la lisière du misérable sourire plaqué sur son visage marqué. Des larmes perlant au coin de ses yeux couleur de pluie, elle ressentit une douleur incoercible. Aussitôt, le film des deniers jours défila derrière ses paupières bistrées…

 

Depuis des semaines, Eve s’était évertuée à concocter des vacances de rêve pour fêter son vingt-cinquième anniversaire de mariage avec Bruno. Elle avait peaufiné les détails d’un voyage en amoureux qui devait être une surprise totale pour son époux. Le périple devait les conduire loin. Très loin. Aux antipodes de leur vie trépidante. Si le farniente à l’ombre des cocotiers des eaux turquoise des lagons polynésiens l’avait initialement tentée, elle avait réalisé que les problèmes ne s’évanouiraient avec les kilomètres. Tous deux avaient surtout besoin de repos. Aussi avait-elle opté pour un coin déserté de tout touriste : un refuge perché dans la montagne corse où le couple pourrait se ressourcer et se retrouver. Du moins l’espérait-elle. Une amie lui avait communiqué les coordonnées d’un berger, propriétaire d’une cahute nichée dans le maquis. Après plusieurs échanges de courriers, tout avait été réglé et réservé pour la première quinzaine d’août. Cela dans le plus grand secret.

 

En attendant le départ, Eve se plaisait à rêver éveillée. Presque chaque soir, paupières mi-closes, pelotonnée dans un pyjama trop ample au creux du lit trop souvent vide (Bruno était fréquemment en déplacement professionnel), elle se délectait par avance des randonnées complices qu’elle effectuerait main dans la main avec l’homme de sa vie. Sous une dentelle de nuages rose orangé, elle les « voyait » cheminer le long d’étroits sentiers de pierres sèches, bordés de fougères finement ciselées, bruyères, coquelicots, iris sauvages, orchidées tigrées aux pétales de velours… Leurs rires fusaient en écho tandis qu’ils s’enivraient du parfum anisé des fenouils. Assis près d’un buisson fleurant le chèvrefeuille, ils savouraient d’épaisses tranches de pain doré nappées de fromage de brebis au thym avant de grignoter de croustillantes galettes au miel de châtaigne. La peau hérissée de fourmillements, elle frémissait en imaginant les siestes mutines au son des cigales et les nuits ardentes dans les bras de son mari qui la berçait de caresses et de mots d’amour poivre et sel. À l’aube, elle le réveillait en picorant son cou de baisers sucrés, au diapason du pépiement des oiseaux… Les images finissaient par se fondre en sommeil apaisant. Assurément, la passion du début pouvait renaître… allait renaître.

 

Il y a deux semaines, Eve préparait le dîner en attendant le retour de Bruno, en voyage d’affaires en Egypte. Dans le salon, la télévision diffusait son lot de banalités lorsqu’un flash spécial l’interrompit. D’une voix monocorde, une journaliste au teint cireux annonça la tragédie en ces termes : « Nous venons d’apprendre qu’un boeing de la compagnie « Forêve-Air » assurant la liaison Le Caire-Paris s’est abîmé au large des côtes de Sicile ».  

 

 

 

Publié dans Jeux d'écriture

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