« Une nanny d’enfer »

Publié le par Mimi


Jeu d’écriture (numéro 24) sur Maux d’auteur (http://forum.aceboard.net/i-7663.htm) :

Brodez allégrement autour de cette illustration en 3000 caractères (10% de dépassement toléré).

jeu-24-e.jpg
 


 

 

Encore deux ou trois détails à régler et je n’aurai plus à m’occuper de ce gosse !... À bien y réfléchir, j’aurais pu éviter de laisser en plan l’ourson écartelé et la poupée désarticulée dans une pose suggestive. Tant pis ! Mon patron sera furieux, une fois de plus. Mais j’assume les réprimandes de Monsieur Horace, ainsi qu’il aime être appelé. Cette fois, j’imagine aisément son sourire se tordre en rictus lorsqu’il remarquera que le livre déchiré par le petit monstre est grand ouvert sur un magistral « N » grenat. Ce détail va l’achever.

 

Après tout, ce n’est que justice. Lui aussi, me rend la vie impossible avec ses manies et ses idées arrêtées. Pour ce puritain, une nounou ne doit pas laisser les enfants pleurer. « Cela fait mauvais genre ! », s’est-il exclamé quand je lui ai fait part de mes principes sur l’éducation. « Et les gaver de friandises n’est pas une solution, non plus » a t-il enchéri en exigeant un travail irréprochable. Comme d’habitude, j’ai feinté ses recommandations. De toutes façons, les menottes du brailleur brise-fer ont pulvérisé la sucette défendue. Ainsi, la morale sera sauve et les quenottes aussi. Cela dit, je doute que cette broutille sucrée échappe à l’œil critique du patron qui me gourmandera encore. Mais ce n’est sans doute rien, en comparaison de la colère qu’il risque de piquer en découvrant un élément bien plus notable.

 

Pour Monsieur Horace, il est inconcevable et inconvenant qu’une nourrice soit amoureuse. Elle ne doit vivre, penser, respirer que pour les rejetons dont elle a la garde. Et moi, je ne suis pas du tout d’accord. Une nounou n’est pas une sainte, même si par miracle une auréole venait à pousser autour de sa charlotte. C’est avant tout une femme qui a parfaitement le droit de filer un mauvais coton - à défaut du parfait amour - sur les nuages laiteux de son imagination au bras d’un preux chevalier dans un pays sans langes ni biberons… Un rêve ? Et pourquoi pas une réalité après tout ? Je sais qu’emprisonné dans sa tour d’ivoire, le patron est trop rigide pour adhérer à cette vision. Je l’entends déjà exiger des modifications au niveau d’une attitude qu’il qualifiera d’anticonformiste. Mais je n’en ferai rien. Il me paraît impossible de supporter les pleurs d’un garnement irascible sans avoir la possibilité de s’évader de temps en temps. Les yeux agacés, un brin démissionnaires, resteront ancrés vers le Ciel et les bottines en position de guillemets fermés aussi ! Et qu’il s’estime heureux que la tenue ne soit pas un tantinet plus olé-olé.

 

Voilà ! J’éparpille un peu plus les lambeaux du livre sur le môme en pleurs et mon boulot est presque fini. Ensuite, il faudra affronter Monsieur Horace. D’ores et déjà, je sais que sa réaction sera violente en découvrant la scène et le désordre. Bien sûr, il va grogner mais je suis suffisamment solide pour me défendre. J’ai construit mon argumentaire sur le fait que les contre-pieds sont toujours payants. Je vais donc proposer au directeur du « Saturday Evening Post » de conclure la journée de la femme (de l’année 1936) sur une édition portant en couverture mon illustration…

 

Signé : « Norman Rockwell » (à droite du biberon, sous la jupe de la nanny d’enfer !)

 

Publié dans Jeux d'écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
"....Les bottines en position de guillemets fermés aussi ! ". Ha ! Ha ! cette expression est drôle à souhait.... Et belle prestation sur MDA. Bravo !
Répondre