« Un zeste de miettes »

Publié le par Mimi

« Un zeste de miettes »

 

 

Jeu d’écriture (numéro 44a) sur À Vos Plumes (http://avosplumes.xooit.com/index.php) : « la photo »
Racontez une histoire à partir de la photo ci-dessous. Vous pouvez faire de cette photo le sujet de l'histoire, son objet, son but, sa cause, sa conséquence... Tout sauf une description !

 




Quel gâchis ! Pour rien… ou presque ! Voilà quatorze ans que nous nous connaissons. Ce qui aurait pu être le fabuleux destin d’un grand-père et son unique petit-fils, s’est délité dans une relation exécrable. Tout aurait dû nous rapprocher pourtant. Le même prénom (Léo), la même date de naissance (à quelques décennies près, évidemment)… mais ce fichu caractère commun, nous a opposés. Une fois de plus !

 

Le point d’orgue de notre cordiale détestation a été atteint aujourd’hui. Le respect de façade que nous affichons mutuellement, a explosé au cours du repas dominical. Fidèle à son habitude, Ginette avait pris la précaution de nous tenir éloignés l’un de l’autre : chacun à un bout de la table. Après la nouveauté du jour : une spécialité « maroc-indienne » (tajine de poulet au curry), sa délicieuse tarte au citron, faite maison, aurait dû conclure le déjeuner. D’y penser, j’en encore l’eau à la bouche…

 

Mais, au moment de déguster le subtil mélange de pâte craquante, nappée de crème fondante, Ginette s’est présentée… la mine déconfite. Dans ses mains, le plat faisait pâle figure. Délestée de ses zestes parfumés, la croûte émiettée était encore auréolée de rares copeaux de meringue. Un vandale sans scrupule l’avait boulottée et saccagée en catimini ! À l’évidence, c’était ce monstre d’égoïsme ! Sans pouvoir maîtriser ma colère, je lui ai déversé un flot d’injures : « goinfre, sans-gêne, ostrogoth !… ». L’air ingénu, il s’est contenté de protester calmement qu’il « n’y était pour rien »… Avant que la dispute ne vire au pugilat, Ginette nous a expédiés hors de la maison. « Allez donc aérer vos neurones au parc et ne revenez pas avant d’avoir calmé vos rancoeurs respectives ! », s’est-elle exclamée, manifestement excédée par nos comportements.

 

Nous voilà donc punis… comme deux malpropres ! Être obligé de rester là, sur le banc d’un jardin désert, m’agace au plus haut point. Les minutes de silence s’égrènent. Interminables. Je ne peux pas et surtout ne veux pas le regarder. Il me fait honte. Sa posture, son accoutrement, ses étranges chaussures… tout en lui est ridicule et ne ressemble à rien ! Nous ne vivons vraiment pas sur la même planète tous les deux ! Et contrairement à Saint Ex qui affirmait : « s’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, mais regarder dans la même direction », nous pouvons fixer le même horizon, notre lien manque singulièrement d’amour.  

 

Depuis une demi-heure, nous sommes englués tels des gnocchis sur ce banc inconfortable. Bientôt le médiocre de l’indifférence nous aura totalement éloignés, si je ne fais pas le premier pas. Je le connais. Le même moule de fierté nous a façonnés. Et à bien y réfléchir, je me suis, sans doute, emporté trop rapidement. Ce n’est peut-être pas lui, le coupable, après tout. Dolly, la jeune épagneule du voisin a, tout à fait, pu commettre ce « forfait ». La chipie est si gourmande ! Allez ! Assez de tergiversations !

 

À l’instant où je me tourne vers lui, son regard, presque transparent, me fuit. Pas assez vite cependant, pour masquer la lueur humide de ses larmes discrètes… qui me touchent, au delà ce que j’imaginais. C’est la toute première fois. Aussitôt, les mots jaillissent spontanément : « Excuse-moi, Papy ! On fait la paix ? Mamy Ginette serait si contente… »

 

 

Publié dans Jeux d'écriture

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C
On peut s'aimer et l'ignorer et ne pas savoir se le dire jusqu'au jour d'un reste de miettes !<br /> j'adore ce texte , très juste et très touchant , je retrouve bien là ton écriture qui m'interpellait toujours sur les ateliers ,je suis ravie de retrouver ta trace , et bravo pour ton actualité littéraire !<br /> <br /> amicalement <br /> chrystelyne
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C
J'aime beaucoup ce texte ! la complicité éloignée qu'il peut exister entre deux êtres d'une même famille mais de deux générations différentes est tout simplement superbement écrit ici. J'aime beaucoup les mots que tu utilise, un vocabulaire riche qui permet de rendre ce texte tout imagé de rythme. (heu je ne suis pas sûre que je suis parvenue à me faire comprendre...) hihi
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