« La cible »

Publié le par Mimi

 

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Le vieux avait raison.
« Vous pouvez pas la louper. Son repaire, c’est le « Blue day », à l’angle de la 7ème et Broadway. Je veux savoir ce que cache son manège. Ne m’épargnez aucun détail. Aucun ! »
Il avait insisté sur le dernier mot en me tendant la photo d’une brune sexy et une liasse de 1000 dollars avant d’ajouter :
« Je vous en donnerai autant pour chaque preuve que vous m’apporterez ! »
 
Par les temps qui courent, des clients qui paient cash, ça ne se refuse pas. Quinze minutes et trois rames de métro plus tard, j’étais là. Pas fameuse la bière, mais l’attente valait le détour. Presque une plombe à zieuter cette faune. J’avoue que les courbes du décolleté violet à ma droite sont très… inspirantes. À l’autre bout du comptoir, c’est pas mal non plus. Les fesses de la nana qui se fait peloter dans l’indifférence des autres clients, c’est tout New York ! Un melting pot au goût de fruit défendu, butinée par des millions d’abeilles. Mais revenons à la pin-up en rouge. Depuis son arrivée, je reluque ses jambes. Longues à souhait. Peut se faire du mouron le pépé. Elle n’est sûrement pas ici juste pour sucer les glaçons de son Bloody Mary. Attend-elle son amant ? Drôle d’endroit ! Y’a plus discret dans le genre. Ou bien, elle racole. On va vite être fixé. En attendant, ça s’échauffe de plus en plus au fond. L’autre pépée en perd ses pompes. Faut pas se gêner. Bientôt il va la culbuter sur le tabouret, le piniouf. Pas facile de se concentrer dans l’agitation et le bruit. Remarque pour l’instant, la miss se contente de siroter sans broncher.
 
Je vais me commander une autre bière. Après tout, 1000 dollars juste pour mater une poupée, c’est top. Seul problème, si je ne dis rien au vieux, il n’allongera plus de billets verts. Faut vraiment qu’il se passe quelque chose. En attendant, je garde un œil sur elle et un autre sur le Times qui titre à la une : « Le serial killer a encore frappé… ». Putain d’époque !… Le temps d’entamer l’article, je la vois se lever. Mince ! Elle se dirige vers ma table.
 
Debout, face à moi, son drink à la main, elle se trémousse et demande d’une voix de dessin animé en total décalage avec son allure :
        La place est libre ?
        Euh oui… oui… bégaye-je.
D’un geste lent, elle tire une chaise, s’assoit en soupirant et ancre ses iris dans les miens.
        Vous êtes nouveau dans le coin ? J’vous ai jamais vu ici.
        Non… Euh… Oui. En fait j’attends quelqu’un.
Bah ! J’suis minable. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’accoste.
        Bien sûr ! Moi ! me répond t-elle avec aplomb.
Je feins un sourire. Mais le jeu de yoyo auquel se livre ma glotte trahit ma surprise et ma gêne. Percevant les points d’interrogation sur mes pupilles, elle ajoute :
        Ben oui, quoi !  Avec ce borsalino ringard, vous êtes aussi discret qu’un pschitt de chantilly sur une coupe de fraises. Vous êtes la dernière trouvaille du vieux schnock ? Combien vous donne t-il pour me filer le train ?
        Euh, j’vois pas de quoi…
        Taratata ! M’interrompt-elle. Vous me prenez pour une bille… Vous n’êtes pas le premier que le vieux engage pour me surveiller. On verra si vous faites mieux que les autres…
Sur ces mots, elle se lève, rejoint son tabouret et commande un nouveau Bloody.
 
Interloqué par son attitude et ses remarques, je feins de me replonger dans la lecture du journal. Que faire d’autre ? Cette affaire semblait simple. Trop simple sans doute. Et merde ! Cet article est vraiment déprimant. Un truc à foutre les jetons. Je vais tenter un coup de bluff, quitter le bar, me planter au coin de la rue et continuer à l’observer. Je me lève, laisse 10 dollars sur la table et me dirige vers la sortie. Au passage, la gamine me sourit de façon narquoise, s’approche de mon oreille et murmure :
« Faut toujours faire attention où l’on met les pieds. Le vieux est plus dangereux que vous ne l’imaginez. Il engage toujours un gogo, juste pour l’exciter. Regardez dehors, le mec au journal, adossé à la Buick grise. C’est lui. Il a tout maté. Eh ! Juste pour que vous ne mourriez pas idiot. Le serial killer de Broadway, c'est mon jules...et moi... »

Quelle folle, cette nana ! Doublée d’une mytho. C’est décidé. Je laisse tomber cette affaire. J’accélère le pas et franchis le seuil. Sur le trottoir, le mec au journal me dévisage. Pour sûr, elle a menti. C’est pas le vieux. Il lui rend au moins trente ans. Pourtant ce regard me dit quelque chose. J'suis pas tranquille. Et s'il s'était déguisé pour mieux me piéger ? Bah ! Faut que j'arrête mon cinéma. Maintenant, il me sourit, s’approche et me demande du feu. L'a pas l'air bien méchant ce killer d'opérette. Il m'est presque sympathique. Au moment où cette pensée traverse mon esprit, ses yeux se plantent dans les miens. En même temps, sa lame transperce mes entrailles... Tout se trouble. Ma dernière pensée va à ce putain de Times qui parlera de moi demain. Et dire que je serai plus de ce monde pour le lire…
 

 

Publié dans Textes courts

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C
j'y était Mimi, là, à boire une chope, vraiment.<br /> Bravo :)
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M
Merci Cathounette. Un essai pour un style qui est assez éloigné de mes habitudes mais qui m'a beaucoup amusée.Biz.Mimi