« Zapping »

Publié le par Mimi

 

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Telle une reine, inamovible et intouchable, je trône dans le salon depuis presque soixante-dix ans. Inanimée, je n’en ai pas moins d’âme. Aussi indispensable que le frigo, l’ordinateur et le téléphone, je me suis embellie avec les années en suivant une cure d’amincissement à base de couleurs et de plasma. Toutefois, au-delà des apparences, tout n’est pas rose à l’intérieur…
 
Je me souviens du temps où l’on me regardait presque religieusement dans mon habit noir et blanc. À cette époque, le journal télévisé réservait toujours d’authentiques instants de bonheur. De nos jours, les actualités souriantes sont réduites à la portion congrue et je ne diffuse plus que des informations sinistres où l’on déplore morts et blessés aux quatre coins de la planète. Comme dans une série noire, j’exhibe : avions écrasés, attentats, menaces atomiques, grèves, drames sociaux dignes de tragédies antiques, chefs d’État impuissants… J’ai envie de pleurer quand je vois la Terre, hurler sa douleur à travers : séismes, tsunamis, inondations, cyclones, incendies… Je ne suis alors que peine, douleur, souffrance, inconscience, égoïsme, folie d’une Humanité qui part à la dérive … tout comme moi.
 
Ce soir, j’en veux à ma fidèle compagne de m’entraîner dans ce manège infernal. J’ai le tournis devant les chaînes qui défilent à toute allure. Elle, c’est « Zapette ». Depuis son invention (il y a une quinzaine d’années), nous sommes unies pour le meilleur et souvent pour le pire….
 
Elle se greffe dans la main de ceux qui me regardent pour agir miraculeusement sur mes canaux. En un petit clic, elle me fait passer du noir JT au rouge-ketchup des mauvaises séries. Au moment où je commence enfin à dénouer l’intrigue, la « main-zapette » me transporte ailleurs. Encore étourdie, je déboule sur un terrain de sports où évoluent des « footballeux » tout bleus. Le temps de visionner deux buts, je suis catapultée sur un stade en pleine ébullition où des athlètes concourent pour décrocher une médaille. Mais qui a remporté le cent mètres et en combien de temps ? Qu’importe ! Encore plus rapide que le champion, Zapette m’assied sur une chaise où dans une ambiance faussement théâtrale, je fais briller des candidats répondant à des questions débiles pour remporter des millions. Excédée par cette inculture, la « main-zapette » me dépose au creux d’une romance rose à l’eau du même nom. Je m’attache alors à la belle femme, triste et abandonnée. Le prince charmant, médecin de la clinique « Les Pépitounes » va-t-il la sauver ? Patatras, la publicité… Les marques de lessive, sauces tomate, sodas, assurances … défilent sans intérêt. Agacée, la « main-zapette » m’expédie sur une île bretonne (ou normande ou ?) dans une saga d’été que je peine à suivre. Toujours des histoires insensées de meurtres en série, de secrets de familles qui se déchirent où tout est compliqué, mal ficelé, et irréaliste au possible… Inévitablement, je m’y perds. Mais il y a bien pire quand d’un clic maléfique, je débarque dans le « no man’s land » de la transparence. Je me transforme alors en affreuse lucarne voyeuse et indiscrète, levant le voile sur l’insipide télé-réalité. Je montre de jeunes « artistes – marionnettes » que l’on fait chanter et transpirer, leur faisant miroiter une vie de star. Dans le même registre, je montre sans pudeur des gens qui semblent consentants pour exposer leur intimité. Ainsi il y a « le loft, l’île de la tentation, la première compagnie, la ferme, le bachelor, le fiancé, secret story… ». J’en oublie certainement tant les ions de mon plasma s’enfoncent dans le magma de « l’avilissement »… Ouf ! La « main-zapette » s’est endormie. Mais elle a oublié de ramener au merveilleux pays de la princesse en détresse, abandonnée pour cause de réclame… Tant pis. Je m’éteins alors exténuée par trop de diversité et de médiocrité.
 
Sauter allégrement de chaîne en chaîne, butiner par ci par là les morceaux éparpillés d’un immense puzzle éclaté, ce n’est pas toujours gai. Heureusement, comme dans toute union, Zapette et moi partageons de bons moments lorsqu’elle consent à demeurer inactive. Je me régale alors des « fausses » informations croquées avec réalisme et ironie par de grands guignols. Il m’arrive aussi de remplir l’écran de bons films au cours desquels elle demeure totalement muette. Elle reste également très sereine, lorsque je propose des documentaires de qualité, des promenades au cœur de lieux magiques mêlant avec bonheur « des racines et des ailes ». Cela se produit également quand je parcours les mers sur le bateau « Thalassa », ou quand je lève le voile d’un monde insoupçonné révélé par « Envoyé spécial ». Zapette s’est toujours tue très respectueusement devant Monsieur Pivot qui, pendant fort longtemps m’a apostrophée de fort belle manière. À présent, elle fait de même lorsque je diffuse des émissions où sont détaillées les sorties littéraires. Enfin, son silence est criant au cours des remarquables soirées « Théma » que j’expose dans la galerie de la chaîne de l’art…
 
Vu la multitude de programmes proposés par tous les médias modernes, j’ai certainement oublié d’évoquer de nombreuses émissions que je diffuse plus ou moins régulièrement et dont la qualité peut être jugée de médiocre à excellente. Depuis l’avènement des satellites numériques, je suis envahie et submergée par toutes sortes de productions. Alors comment faire le tri et surtout que choisir de regarder ? Je n’ai pas de réponse. Toutefois, je « comprends » que les mauvaises nouvelles que je ressasse en boucle puissent pousser la « main-zapette » à œuvrer. Chacun prend ce qu’il veut et surtout ce qu’il peut dans tout cet amalgame. Quand le seuil de saturation est atteint, zapper pour tenter de fuir la réalité, oublier les douleurs de la vie, c’est de « bonne guerre ». À défaut de pouvoir offrir une belle image du monde réel, ouvrir la porte de celui du rêve, c’est déjà une belle mission, non ?… 

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Publié dans Textes courts

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C
Quel panorama complet du phénomène télévisuel !Et merci d'avoir gardé pour la fin ce qui peut instruire, enrichir et faire rêver .<br /> Quand un récepteur attend en magasin un acquéreur, il doit trembler à l'idée de tomber dans certains foyers !!!
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M
Merci beaucoup Clerval de ta fidélité et de tes appréciations toujours très touchantes.Effectivement si nos chers téléviseurs pouvaient penser, sans doute seraient-ils effrayés par les images qu'ils diffusent ainsi que par le comportement  de certains téléspectateurs.A te relire bientôt.